Send his love to me par PJ Harvey, sur l’album To bring you my love (1995, Island)
J’avoue ne pas pouvoir référencer précisément mon propos, mais j’imagine volontiers que chant et prière ont partie liée depuis, au moins, la nuit des temps, pour paraphraser les introductions de dissertations de millions d’étudiants et étudiantes. Plus sérieusement, la musique semble être un langage idéal pour s’adresser aux dieux, aux forces de l’au-delà, à la nature ou, plus prosaïquement, pour supplier quelqu’un de nous accorder ses faveurs ou de nous garder son cœur.
C’est toute la puissance de ce fantastique morceau de l’immense PJ Harvey de parvenir à condenser en un peu plus de quatre minutes ces siècles de prière pour en livrer une interprétation à couper le souffle, en appelant ici à tous les saints (Dieu, Jésus, son père et sa mère sont ainsi sollicités) pour faire revenir l’amour absent. Sur ce disque taillé dans la toile même du désir, ce To bring you my love qui n’a rien perdu de son intensité brûlante trente ans après sa sortie, Send his love to me donne à entendre dans sa brutalité crue le manque et la fièvre qu’il excite. Porté par un riff de guitare acoustique obsédant, Send his love to me réussit la gageure de charrier tout le poids de l’absence qui ronge et tord le ventre et de le transformer en quelque chose d’une fascinante beauté flottante. Si le chant magistral de l’Anglaise confère à l’ensemble une force dramatique évidente, l’orchestration fait ondoyer le morceau dans une mélancolie aussi gracieuse que bouleversante. Le tapis d’orgue Hammond déployé par Mick Harvey, fidèle compère de Nick Cave, semble notamment tracer une ligne vers l’horizon, un horizon rendu vide et inquiétant par l’absence de l’être aimé. On insistera jamais trop sur la magnificence de la voix de PJ Harvey, toute d’âpre endurance et habitée d’un feu impressionnant, qui ne sait littéralement plus à quels saints se vouer pour faire revenir son amant introuvable. Qu’il revienne, bon sang, qu’il revienne !
Dans ce désert qui la torture, ce manque qui la tient sous son joug (« Left alone in desert, this house becomes a hell, this love becomes a tether, this room becomes a cell »), PJ Harvey apparaît pourtant vivante comme jamais, reine en robe rouge attendant inlassablement son amour disparu. Toutes celles et ceux qui ont déjà vécu le manque et ses tourments pourront s’y reconnaître.