Toujours être ailleurs
Smog Knock knock (1999, Domino/Labels)
La reprise des deux précédentes notes que j’avais commises à propos de Smog n’était pas purement gratuite. Il me semblait important de replacer cet album dans le fil de la discographie de l’immense Bill Callahan, tant cet impressionnant songwriter nous donna à contempler, au long des années 1990, un fascinant réchauffement climatique. On le suivait alors les yeux fermés, de champs de ruines en plaines fertiles, et on regrette quelque peu de l’avoir un temps perdu de vue, surtout à la récente écoute de quelques unes de ses dernières compositions très haut perchées.
Après de chaotiques premiers pas culminant avec l’éprouvant (mais splendide) Wild love, Bill Callahan traversa une imposante phase de glaciation (cf The doctor came at dawn), dont il commença de ressortir avec le magnifique Red apple falls de 1997. Alors que sa musique semblait jusque là se jouer entre ténèbres et lumière blafarde, Smog laissait ici entrer le soleil comme le chantait l’autre. Avec Knock knock, Callahan ouvre encore davantage les volets qui encloitraient son intérieur, démontrant combien les nudités crues de ses précédents opus n’étaient qu’une façon parmi d’autres d’habiller leurs beautés, et non une manière de déguiser de pauvres idées derrière une étiquette lo-fi.
Smog continue d’arpenter les territoires inépuisables du blues, de la country, du folk et du rock, mais y amenant au fil de l’eau des ingrédients encore inaperçus chez lui. Quelques boucles bien senties viennent renforcer l’allure batailleuse des guitares rugueuses du formidable Held tandis qu’une chorale d’enfants – comme ensorcelée par un Callahan se faisant joueur de flûte de Hamelin – vient apporter le contrepoint de son chant séraphique à l’inquiétant No dancing ou à l’épatante évasion de Hit the ground running. Sur Cold blooded old times, Bill Callahan convoque le souvenir du Lou Reed le plus électrique, qu’on retrouve aussi sur No dancing.
Smog livre donc un disque plutôt positif, du moins par rapport à ses productions passées (on n’est pas non plus chez La Compagnie Créole). Ainsi, Hit the ground running constitue une de ses compositions les plus enlevées, portée par la joie de laisser derrière soi de plombantes attaches. Cette envie d’ailleurs se retrouve à plusieurs reprises sur Knock knock, de l’introductive invitation Let’s move to the country au bouleversant chant de départ de I could drive forever (« With every mile another piece of me peels off / And whips down the road / All down the road / I should have left a long time ago »), Callahan donnant corps dans ses chansons à ses propres déménagements incessants. On pouvait ainsi l’entendre déclarer à l’époque: « Voyager est pour moi un moyen de me sentir en vie, de ressentir les choses. La destination est moins importante que le trajet, le mouvement ». Impossible pour finir de passer sous silence les lumières coruscantes de Teenage spaceship et surtout les profondeurs métaphysiques du royal River guard, morceau qui à lui seul justifierait l’écoute (et l’acquisition – ou le téléchargement) de l’album.
Bill Callahan poursuit sa route, qu’il sème de pépites plus ou moins éclatantes. Smog perdurera jusqu’en 2005 puis son leader décidera de laisser tomber le masque pour conduire depuis une carrière sous son nom propre. Son dernier opus, Sometimes I wish we were an eagle est paru l’an dernier.
1 réponse
[…] Reprenons donc les choses là où nous les avions laissées, soit juste après le formidable Knock knock de 1999 avec le huitième épisode de la discographie de Smog (et pour les béotiens, on rappellera […]